Jouer la mandoline classique: Pourquoi apprendre les gammes et arpèges.

Jouer la mandoline classique

Pourquoi apprendre les gammes et arpèges.

Par Jean Comeau

« Übe mit Geist und spiele mit Seele » disait la guitariste et compositrice autrichienne Luise Walker (1910—1998). Je sais que ce n’est pas la traduction exacte mais voici comment je me plais à comprendre cette affirmation:

 

« Pratique avec ta tête et joue avec ton âme ».

 

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Le temps qu’on consacre quotidiennement à la pratique est toujours trop court. On voudrait accorder plus de temps au perfectionnement de sa technique mais il y a le travail, les enfants, la préparation des repas, les déchets à sortir… les excuses ne manquent pas.

 

Dans le fond, on sait trop bien qu’on consacre à la pratique le temps qu’on décide d’y consacrer et que, finalement c’est une question de choix, une question de priorité mais, quoi qu’il en soit, notre « mesquinerie temporelle » est la meilleure raison qui puisse nous motiver à utiliser ce temps de manière optimale. Et la façon de le faire c’est précisément de « pratiquer avec sa tête ». On sera d’autant plus récompensés lorsqu’on verra, plus tard, comme on peut alors jouer avec son âme.

 

Qu’est-ce qu’on entend par « pratiquer avec sa tête »? Un professeur de pédagogie me répétait toujours: « Quand on ne peut pas dire précisément ce qu’on enseigne, c’est probablement qu’on n’enseigne rien. » Et c’est la même chose pour celui qui veut apprendre: « Quand on ne peut pas dire précisément ce qu’on apprend, c’est généralement qu’on n’apprend rien ».

 

Pour mieux comprendre, allons voir ce qui se passe lorsqu’on apprend une langue nouvelle. Soyons masochiste, disons qu’on apprend l’allemand. D’abord, on n’apprend pas l’ « allemand ». Apprendre une langue c’est acquérir une somme impressionnante de connaissances et développer une foule d’habiletés et de réflexes.

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Ce qu’on apprend, ce sont des sons nouveaux (Ö, Ü,Ä), parfois des lettres nouvelles (ß), des mots (Straßenbahnhaltestelle), le sens de ces mots (gare), l’orthographe de ces mots, le rapport de ces mots dans des expressions, l’ordre des mots dans la phrase, les déclinaisons de ces mots, soit simplement en masculin—féminin et singulier—pluriel ou, pire encore, en nominatif, accusatif, datif, génitif et ainsi de suite jusqu’à ce qu’on parvienne à lire un texte, comprendre un interlocuteur, écrire une lettre ou entretenir une conversation qui se tienne. Tout un cheminement avant de rencontrer « Ein Mann und eine Frau » à la « Straßenbahnhaltestelle » pour leur lire Rotkäppchen des frères Grimm!

 

Chacune de ces connaissances et chacune de ces habiletés a ses exigences: lorsqu’on décide de mémoriser une liste de mots, il faut apprendre à les reconnaître, à les prononcer, à les écrire, à les définir, à les employer en contexte, à les conjuguer, à répéter ces opérations jusqu’à ce qu’elles deviennent des réflexes et chacune de ces opérations demande un travail différent de l’opération précédente. 

 

Il en est ainsi de la pratique d’un instrument. On n’apprend pas la musique, pas plus qu'on apprend « la mandoline ». On acquiert une foule de connaissances et on développe une montagne d’habiletés qu’on pratique pour que ces acquis deviennent des réflexes. Si on veut que notre pratique d’un instrument soit efficace, il faut procéder comme si on apprenait une langue ou si on étudiait la physique. Et c’est sûrement plus difficile que d’apprendre l’allemand (ce qui n’est pas peu dire!)

 

Partons d’un petit exercice de réchauffement.

 
 
 
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Jean Comeau, Photo: Charlotte Lebossé

Jean Comeau, Photo: Charlotte Lebossé

Le fait de le jouer lentement, en plaçant précisément les doigts sur la touche, en pinçant précisément chacune des deux cordes avec le plectre nous aide à « réveiller » les muscles des doigts, à délier le poignet droit et à se mettre progressivement dans un bon état d’esprit pour amorcer sa pratique quotidienne. 

 C’est un bon début! Par contre, ce n'est rien de plus qu'un exercice de réchauffement. Mais un tel exercice, dont la qualité première est la facilité, donc qui permet de se concentrer sur le travail physique, peut devenir l’occasion « d’apprendre » quelque chose.

Abordons cet exercice en se concentrant consciemment et exclusivement sur le fait de jouer les notes avec précision, avec clarté, en ne tolérant aucun son parasite, en cherchant un son rond, riche, le meilleur son que puisse produire notre instrument. On vient alors de se fixer un objectif d’apprentissage. Se fixer des objectifs d'apprentissage c'est ce que j'appelle « pratiquer avec sa tête ».

 

L’objectif d’apprentissage est la clé de toute acquisition de connaissance et du développement de toute habileté que ce soit en science, en art, dans les sports, etc. Que va-t-il se passer si on aborde l’exercice dans cet esprit? Nous allons prendre conscience que certaines notes, sur certaines touches sont moins belles, moins riches, moins précises; on cherchera pourquoi et on tentera de corriger son jeu. On verra que tel doigt (probablement le quatrième!) est plus faible, qu’il tombe souvent à côté de la touche ou carrément sur la frette, qu’il exerce moins de pression. On vient alors d’établir un diagnostic : on cherchera alors une façon, un exercice peut-être, pour corriger ce défaut.

 

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Dans un autre passage, on verra que, parfois, on ne pince qu’une seule des deux cordes. Plus tard, que le jeu du plectre « par en bas » produit un son trop différent du jeu « par en haut » Ou encore que, si on augmente le tempo, la coordination entre le plectre et les doigts sur le manche manque de précision.

En jouant très lentement, on constatera parfois qu’on tire légèrement la corde de côté ce qui fait fausser la note. Et on voudra corriger; et on cherchera de petits exercices; peut-être qu’on s’en inventera; on cherchera l’aide d’un professeur ou d’un collègue mandoliniste. On vérifiera son progrès, on reviendra en arrière, plus lentement, avec plus de précision, le plectre plus droit ou plus incliné, on essaiera un nouveau plectre, on fera des exercices de doigté, on se risquera à reprendre un tempo plus hardi.

 

Objectif + pratique + diagnostic + correction + évaluation = apprentissage.

 

Pour pousser plus loin son apprentissage, sans même changer d’exercice, on pourra se donner de nouveaux défis. En variant le rythme peut-être:

 
 

 

 Ou les coups de plectre:

 

 

 

Même recherche de précision, de force du quatrième doigt, de coordination, de vélocité: on diagnostique, on corrige, on évalue.

 

Toujours sur le même thème, on peut se servir de variantes pour augmenter sensiblement le niveau de difficultés: jouer sur le timbre et les nuances mais en gardant toujours en tête le même objectif d’apprentissage qui se veut une recherche de précision, de richesse sonore. Est-ce que je perds de la précision, de la coordination, de la vélocité quand je joue « sul tasto », quand je joue « sul ponticello »? Dans sa « Methode (sic) raisonnée pour passer du violon et de l’archet a la plume » Gabriele Leone (1725—1790) nous offre un exercice que nous avons adapté à notre objectif pédagogique. 

 
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Cet objectif d’apprentissage se poursuivra sans doute pendant plusieurs semaines ou même plusieurs mois (années?) avant d’avoir atteint un résultat satisfaisant. Pour éviter la monotonie, on peut aller puiser des exercices à diverses sources. Les recueils d’exercices pour violon sont, à cet égard, des collections presque inépuisables. Voyons par exemple cet exercice tiré des Soixante Exercices de Franz Wohlfahrt (1833—1884) que l’on peut trouver à prix très modique aux éditions Schirmer (eh oui! les jaunes!). 

 

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On peut refaire toutes les variantes déjà abordées avec cet exercice: variation de rythme, de coups de plectre, de timbre, de nuance, etc. Mais toujours « avec précision, avec clarté, en ne tolérant aucun son parasite, en cherchant un son rond, riche, le meilleur son que puisse produire son instrument ».

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Formulation d’un objectif d’apprentissage, pratique, diagnostic, ajustements en fonction des progrès accomplis, pose de défis supplémentaires, pratique, ajustement, diagnostic… On a presque terminé le « cycle d’apprentissage ». Il reste maintenant la dernière étape, probablement la plus importante:

 

l’évaluation des progrès accomplis.

 

Pour s’évaluer, on prendra un nouvel exercice qui possède les mêmes caractéristiques de base que ceux sur lesquels on a pratiqué: valeurs de notes relativement constantes, peu d’intervalles importants, écrit dans un mode « confortable », en sol majeur, fa majeur ou en do majeur (même si fa majeur comporte certains pièges à la mandoline!). Après en avoir fait quelques lectures, on essaiera de vérifier si on a amélioré notre capacité de « de jouer les notes avec précision, avec clarté, en ne tolérant aucun son parasite, en cherchant un son rond, riche, le meilleur son que puisse produire son instrument » ou, en d’autres mots, si on a atteint son objectif d’apprentissage. On jouera donc ce nouvel exercice en variant le rythme, les coups de plectre, les nuances et le timbre tout en essayant d’évaluer les progrès accomplis.

 

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Dans le prochain article nous reviendrons sur le cycle d’apprentissage (Objectif + pratique + diagnostic + correction + évaluation). Nous verrons comment on peut se fixer des objectifs d’apprentissage dans le travail du trémolo à partir d'une évaluation initiale. Nous approfondirons la notion de diagnostic—correction.

 

Y a-t-il technique plus cruciale que celle du trémolo, du moins pour la période romantique? Voici ce qu’en dit Calace au début de sa célèbre méthode:

 

« Le trémolo est la chose la plus importante de la mandoline; en lui-même il renferme ce charme qui émane du son propre à cet instrument, cette suggestion délicate qui captive les auditeurs… »

 

En terminant, voici un petit exercice tiré de la méthode de mandoline de Giuseppe Branzoli (1835 — 1909). Nous le reproduisons ici tout simplement parce qu’il est joli. Les compositeurs romantiques du XIXe siècle comme Ferdinand de Cristofaro (1846 — 1890) et Jules Cottin (1868 — 1922) parsemaient leurs méthodes de mandoline, parfois assez arides, de ce qu’ils appelaient des « récréations ». Considérons donc cette petite pièce comme une récréation: avec un peu d’émotion et un trémolo bien placé, personne ne peut y résister. 

 

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 JEAN COMEAU

Pour Mando Montréal